Pour un entraîneur peu loquace devant un micro, l’écouter disserter sur ses premiers mois à la tête des Verts était un réel plaisir. D’autant plus que Vladimir Petkovic n’est jamais dans la vantardise qui lui ferait tirer la couverture sur soi après une série de résultats exceptionnelle avec les Verts. Constamment tourné vers le collectif, c’est finalement le mot qui ressort le plus souvent de cette interview inédite que le Bosniaque a accordée au département médias de la FAF. Il y raconte ses débuts incertains, le mois de mars 2024, et l’ascension qui s’ensuivra, le tout en toute lucidité.
Après un peu plus d’une année à la tête de l’équipe nationale, quel bilan faites-vous de cette première année ?
Tout d’abord, je suis très heureux d’être ici. J’ai trouvé un environnement très chaleureux, un groupe très motivé à faire de bonnes choses, à progresser dans sa manière de penser et dans sa façon d’obtenir des résultats. Cela m’aide, mon staff et moi, à tout donner et à avoir encore plus d’énergie pour atteindre le succès. C’est vrai qu’au début, c’était en quelque sorte un saut dans l’inconnu, Tout était à découvrir. Nous avons commencé avec deux matchs amicaux qui m’ont permis de me faire une idée sur les qualités et les difficultés de certains joueurs. Après une analyse approfondie avec mon staff, j’ai eu l’opportunité de reprendre les qualifications pour la Coupe du monde. Malheureusement, le premier match contre la Guinée s’est mal passé : nous avons perdu. Et c’était, sans doute, le point le plus bas de ces 13-14 mois. Mais nous avons pris ce moment comme un nouveau départ. Malgré toutes les critiques reçues à ce moment-là, nous avons su nous organiser, rester positifs, respectueux et continuer à travailler. Pour ma part, cela m’était déjà arrivé avec la Suisse : j’avais perdu les deux premiers matchs, mais ensuite nous avons très peu perdu durant les sept années suivantes. Et ici en Algérie, nous essayons aussi de prolonger cette série le plus longtemps possible. Jusqu’à présent, cela s’est bien passé. Ce n’était pas toujours parfait, il y a eu des difficultés, je le reconnais, mais nous avons réussi à améliorer notre manière de jouer, à progresser mentalement, et cela est très important pour le développement. Car il s’agit d’un processus : commencer un processus est toujours difficile, mais pour le poursuivre, il faut obtenir des résultats. Et ces résultats, nous les avons eus pendant cette période, ce qui nous a permis de faire d’autres choses en plus, qui nous ont aidés à progresser et à envisager l’avenir avec plus d’optimisme.
Vous êtes arrivé à un moment où l’équipe nationale sortait d’une CAN désastreuse. Ce qui était alors un enchaînement d’une série de mauvais résultats. Comment vous êtes-vous adapté à cette situation ?
C’était un moment particulier. Ce sont précisément ces moments qu’il faut savoir gérer pour faire bouger les choses. À ce stade, l’aspect mental est très important : convaincre les joueurs qu’ils sont forts, convaincre l’environnement que c’est possible, convaincre tout le monde de rester positif, de croire et de regarder vers un avenir proche. Ce n’est pas toujours facile. C’est pourquoi les résultats aident, mais la qualité des joueurs que j’ai appris à connaître petit à petit aussi bien dans le football local que parmi ceux qui jouent à l’étranger aide aussi. J’ai vu un réel potentiel et je dois dire que cela m’a aidé à faire bouger les choses. Après, c’est vrai qu’au début, moi aussi je cherchais des formules, j’essayais de trouver un certain type de jeu, car en sélection nationale il n’y a pas beaucoup d’entraînements, peu d’occasions de travailler. C’est pour cela qu’il est important de communiquer avec les joueurs. Je ne vous cache pas, j’aime ce que je vois depuis un an : des joueurs qui arrivent avec les bras ouverts, le sourire aux lèvres, heureux d’être là. Et cela facilite énormément mon travail.
Beaucoup vous ont reproché votre manque d’expérience en Afrique. Comment vous êtes-vous adapté à cela ?
Il est certain que beaucoup avaient raison, mais sans vraiment avoir de preuves, sans voir notre staff travailler dans les moments difficiles. Et en Afrique, il y a forcément des moments difficiles : les déplacements, les températures, l’humidité et bien d’autres choses encore. Mais j’ai eu la chance de pouvoir choisir et trouver un staff très homogène. J’ai avec moi mon préparateur physique Paolo Rongoni, mon adjoint Davide Morandi que je connais depuis longtemps - ils nous ont beaucoup aidés et soutenus pour construire quelque chose d’important. Nous avons aussi trouvé Nabil Neghiz, les entraîneurs des gardiens, ainsi que tout le staff élargi sur place, qui était prêt à se mettre à disposition. Pour moi, la première chose importante n’était pas tant de connaître le football africain, mais plutôt de connaître le football algérien, de connaître mes joueurs, leurs qualités. Car, pour moi, la force d’une équipe commence par la connaissance de soi : savoir qui on est, et chercher à dominer, à s’imposer face à l’adversaire. Et je pense que sur ce point, nous avons réussi à créer un groupe homogène, même en changeant plus de 40 joueurs. Et justement, en deuxième lieu, en se connaissant soi-même, on peut plus facilement évaluer l’adversaire - toujours dans le respect -, entrer dans chaque match sur la pointe des pieds, et chercher à exploiter nos qualités par rapport à celles de l’adversaire. Cela est d’autant plus vrai qu’en sélection, on joue tous les 3 ou 4 jours : il n’est donc ni facile ni simple de s’adapter à chaque adversaire.
Vous avez la particularité de varier les systèmes de jeu d’un match à l’autre. Cela est-il tributaire du profil de l’adversaire ?
Pour moi, le schéma tactique n’est pas essentiel, ce n’est pas si important. Ce qui est important, c’est de connaître les principes du jeu. Chacun de mes joueurs connaît ses tâches et sait aussi exécuter celles des coéquipiers qui l’entourent. Tout fonctionne comme un collectif, et ensuite, que l’un soit 10 mètres plus à droite ou 15 mètres plus avancé, au final, cela ne change pas grand-chose. Ce qui compte, c’est de bien connaître les principes, d’avoir le bon état d’esprit et de tout donner pour ce maillot. Et avec le public que nous avons eu jusqu’à présent, il est clair que nous devons tout faire pour lui donner de la satisfaction à chaque match.
Vous avez aussi réussi à garder les joueurs dans une forme physique optimale en dépit du rapprochement des matches et des conditions de jeu souvent difficiles…
Tout d’abord, nous jouons contre des adversaires qui, souvent dès le début du match, sont au maximum de leurs capacités physiques, ils courent beaucoup, énormément. De notre côté, nous essayons d’avoir un rendement constant sur les 90 minutes. C’est vrai qu’en première mi-temps, il n’y a généralement pas de changements ni de décisions radicales. La pause entre les deux mi-temps permet à l’entraîneur de réagir. Mais la chance d’un entraîneur, c’est aussi d’avoir des joueurs de qualité pour pouvoir ajuster certaines choses. Parfois, ces choix sont justes, d’autres fois on peut se tromper et en payer le prix. Mais nous avons réussi à créer une dynamique de groupe dans laquelle les 23 ou 26 joueurs se sentent valorisés et prêts à tout donner jusqu’à la 90e minute. Tout cela pour maintenir une performance homogène au quotidien et éviter les baisses de régime pendant les 90 minutes.
Il ne se passe généralement pas un regroupement sans que vous déploriez des défections. Mais force est de constater que vous n’avez jamais utilisé ça comme un argument lors de vos sorties médiatiques…
C’est quelque chose de très important. Comme je l’ai déjà dit, la réactivité et les moyens mis à notre disposition - à commencer par la FAF, notre président et tout le soutien logistique que nous recevons - sont les bases pour bien travailler. Mais au même niveau d’importance, il y a aussi les joueurs, qui sont valables, motivés, positifs et qui forment un bon groupe. Il y a aussi le staff technique, qui a déjà l’expérience nécessaire pour bien organiser les choses. Avec une sélection nationale, il ne s’agit pas seulement de savoir travailler, mais aussi de savoir bien récupérer. Grâce à notre préparateur physique, nous avons une base solide qui nous permet de nous organiser efficacement du premier au dernier jour, de planifier les efforts et de tout structurer pour disputer 90 minutes à un très haut niveau. Je l’ai déjà dit : il y a des joueurs qui ont une grande envie, et pour bien performer physiquement, il faut aussi de la force mentale, de la volonté et une capacité de sacrifice. Et cela, nos joueurs l’ont démontré jusqu’à présent.
Vous avez sous la main un groupe élargi à une quarantaine de joueurs. Le fait d’avoir comme ça l’embarras du choix ne vous met-il pas parfois sous pression ?
Je suis un entraîneur qui ne se plaint pas et ne cherche jamais d’excuses. Je choisis toujours les 23 meilleurs joueurs du moment pour l’Algérie, ceux qui peuvent gagner le match et bien vivre ensemble. Jusqu’à présent, cela a porté ses fruits. Donner trop d’importance aux absents, c’est manquer de respect à ceux qui sont là et qui doivent justement te permettre de gagner. Cela s’est avéré être une stratégie payante. Il faut bien sûr gérer les difficultés des joueurs : le manque de confiance, les blessures, le fait qu’ils jouent ou non certains matchs… Tout cela fait partie du travail. Nous avons démontré que nous sommes capables de gérer aussi des situations compliquées, comme celle d’un joueur en difficulté. Et c’est justement dans ces moments qu’il faut les appeler, leur donner du temps de jeu. Car, jusqu’à présent, cela a toujours été bénéfique : les joueurs ressentent cette confiance, et c’est cette confiance qui fait la différence sur le terrain.
Synthèse
Ali A.