Plafonnement budgétaire en Algérie : un frein pour l’ambition continentale des clubs ?

Publié le : 23 Juin 2025

En décidant de plafonner les budgets des clubs de la Ligue 1 Mobilis à hauteur de 50 milliards de centimes, les instances sportives algériennes souhaitent, à juste titre, mettre fin à certaines dérives financières observées ces dernières saisons. 

 

Mais cette mesure, aussi louable soit-elle sur le papier, risque surtout de freiner la croissance et l’ambition de nos clubs, notamment ceux appelés à représenter le pays sur la scène continentale. Car, dans un football africain en pleine mutation, où la performance va de pair avec l’investissement, restreindre les moyens, c’est aussi restreindre les perspectives.

 

L’écart grandissant avec les puissances africaines

Il suffit de regarder ce qui se passe ailleurs pour mesurer le fossé qui se creuse. En Égypte, Al Ahly dispose d’un budget annuel qui avoisine les 100 millions de dollars. Cette enveloppe colossale est alimentée par de solides contrats de sponsoring, des droits télévisés conséquents, des revenus de billetterie importants et une véritable industrie du merchandising. En Afrique du Sud, un club comme Mamelodi Sundowns fonctionne avec un budget estimé entre 25 et 30 millions de dollars, soutenu par le groupe Motsepe et les droits TV générés par le géant SuperSport. Même des formations comme le Wydad ou le Raja au Maroc, ou encore l’Espérance de Tunis, bénéficient de budgets bien supérieurs à ceux de nos clubs.

Dans ce contexte, fixer un plafond à 3,5 ou 4 millions de dollars par club équivaut à placer un plafond en verre à nos ambitions. Chaque saison, des clubs algériens s’alignent en Ligue des champions ou en Coupe de la CAF. Or, ceux qui atteignent les derniers tours de ces compétitions sont presque toujours les mieux dotés financièrement. Ce n’est pas une coïncidence, mais une réalité structurelle.

 

La masse salariale, un levier de performance

Le cœur du débat tourne autour de la masse salariale, souvent pointée du doigt comme source de dérives. Il est vrai que les chiffres dévoilés récemment lors d’un atelier organisé par la FAF ont de quoi interpeller : les 16 clubs de la Ligue 1 Mobilis ont dépensé près de 70 millions de dollars en salaires de joueurs durant la saison 2024-2025, contre 42 millions l’année précédente. Une hausse de 64 % en une seule saison. Mais faut-il pour autant plafonner les budgets de manière uniforme ? C’est oublier que dans la majorité des cas, la masse salariale représente près de 80 % du budget global d’un club. Avec un plafond fixé à 50 milliards de centimes, cela signifie que les clubs n’auront plus les moyens de recruter les meilleurs joueurs, ni même de conserver leurs cadres.

Le cas de l’USMA, privée d’un Belkacemi parti en Libye, illustre bien cette problématique. Le club algérois a souffert d’un déficit offensif flagrant après son départ. Pendant ce temps, des championnats comme la Libye, le Soudan ou l’Egypte attirent de plus en plus de joueurs issus d’Algérie et du Maroc grâce à des salaires compétitifs, vidant progressivement nos effectifs.

Réformer, oui. Freiner, non

Il ne s’agit pas ici de défendre le gaspillage ou de plaider pour un laxisme budgétaire. La gabegie, lorsqu’elle est prouvée, doit être combattue. Mais cela ne peut se faire au détriment des ambitions sportives. Ce dont le football algérien a besoin, c’est d’un véritable outil de régulation, à l’image de ce que représente la DNCG en France. Une direction nationale de contrôle de gestion, réinventée et adaptée à notre contexte, permettrait de contrôler les budgets prévisionnels, d’authentifier l’origine des fonds, d’encadrer la masse salariale et de lutter efficacement contre les abus, tout en laissant les clubs évoluer selon leurs moyens.

Plutôt que d’imposer un carcan uniforme, il serait plus judicieux de fixer des règles claires, avec des mécanismes de contrôle stricts, mais flexibles. Cela permettrait aux clubs les mieux structurés d’aller chercher des titres tout en respectant les normes financières.

 

Une diversification des ressources encore limitée

Les autorités ont, à juste titre, évoqué la nécessité de diversifier les sources de revenus. Sponsoring, merchandising, billetterie : autant de pistes que les clubs algériens peinent encore à exploiter pleinement. Les contrats de sponsoring dans notre championnat dépassent rarement les 50 millions de dinars par saison. Pour constituer un budget sérieux de 6 millions de dollars, il faudrait au minimum une dizaine de sponsors de ce calibre, ce qui reste irréaliste dans l’environnement économique actuel.

À cela s’ajoute la question cruciale de la gestion des stades. La billetterie est, dans les grands championnats du monde, une source de revenus majeure. En Algérie, les clubs ne gèrent pas leurs enceintes. Ils restent dépendants d’EPIC créées dans l’urgence, qui privent les clubs d’une manne financière essentielle. La JS Kabylie, par exemple, a accueilli plus d’un demi-million de supporters dans son nouveau stade cette saison, un afflux qui aurait généré environ 1,2 million de dollars. Le club, pourtant, n’en percevra que des miettes, et avec beaucoup de retard.

Même le merchandising reste marginal. À Tizi Ouzou, les produits officiels de la JSK en partenariat avec la marque Kappa se font rares, faute d’organisation logistique et de problèmes de dédouanement, ce qui a ouvert la voie à l’émancipation des produits de contrefaçon.

 

Solutions

Face à ces multiples blocages                                                       , la réponse ne peut pas être une limitation stricte et sèche des budgets. Elle doit être une réforme intelligente, structurée et ambitieuse. Il faut offrir aux clubs les outils de leur autonomie : contrôle rigoureux, mais sans frein au développement. Permettre la gestion des stades, encourager la vente de produits dérivés, simplifier les circuits administratifs et surtout, donner une réelle marge de manœuvre aux clubs qui veulent grandir.

Aujourd’hui, il est difficile d’imaginer un club capable de recruter un joueur performant sans lui offrir au moins quatre millions de dinars mensuels. Les meilleurs éléments ne sont plus accessibles à moins de ce seuil. Il serait contre-productif de faire fuir ces profils, sous prétexte d’un encadrement qui, à défaut d’être bien pensé, pourrait tuer dans l’œuf toute ambition.

 

L’ambition a un prix

L’Algérie ne peut pas espérer briller sur le continent si elle n’aide pas ses clubs à franchir un palier. Vouloir hisser haut le drapeau national passe par des résultats sur le terrain, des titres remportés et une image forte. Mais cette ambition a un coût. Et plutôt que de brider ceux qui peuvent et veulent investir, il faut les accompagner, les encadrer et les responsabiliser. C’est à cette condition que le football algérien pourra prétendre à un avenir meilleur, construit sur des fondations solides et non sur des plafonds imposés.

S.M.A