Vahid dévoile son contrat

Publié le : 9 Octobre 2012

C'est la première fois que Vahid Halilhodzic évoque les détails de son contrat qu'il a signé il y a un peu plus d'un an avec notre fédération. Le Bosniaque a donc choisi le grand magazine français France Football pour évoquer cela.  Deux objectifs écrits noir sur blanc dans son contrat et qui ne sont pas des moindres : une finale lors de la prochaine CAN en Afrique du Sud et une demi-finale lors de la Coupe du monde au Brésil en 2014. Oui, une demi-finale en Coupe du monde ! L'entraîneur des Verts parle aussi dans cette même interview, qui paraîtra aujourd'hui dans le magazine, du travail qu'il est en train de mener à la tête de la sélection nationale et des progrès faits par cette dernière. L'entraîneur national revient également sur son passage au Paris Saint-Germain tout en précisant qu'il reviendra certainement travailler en France.  

-Depuis votre limogeage du Paris-SG en février 2005, vous n'avez plus entraîné en France. Avez-vous le sentiment d'être tombé dans l'oubli ?
- Non, puisque j'ai eu des offres chaque année. Nantes, par exemple, est revenu plusieurs fois à la charge pour que je refasse ce que j'avais fait à Lille. Mais il y avait toujours les mêmes réserves chez mes interlocuteurs au sujet de mon caractère. C'était: "Oui, mais…" Et ça, je ne le supporte plus.
-Vous ne reviendrez donc pas en Ligue 1 ?
- Si, je suis obligé de revenir. Je ne peux pas rester sur ce départ du PSG. Même si j'ai aussi ma part de responsabilité. Je n'ai pas toujours fait ce qu'il fallait en termes de communication. J'étais un peu rigide. À Paris, la première année, tout le monde voulait manger avec moi. Des gens de la politique, du show-biz…
- J'ai refusé beaucoup d'invitations. Certains ont pris cela pour de l'arrogance. Mais je n'ai jamais cherché à profiter de la position ou de l'influence de quelqu'un.
-Cette image de «coach Vahid», entraîneur autoritaire, n'est tout de même pas complètement fausse ?
- Oui, j'ai beaucoup de caractère, je n'ai pas peur de dire ce que je pense. Mais je suis quelqu'un d'attachant, de sincère, de fidèle. Je suis même un peu naïf. À un moment donné, j'étais plus connu pour mon guignol que pour mon travail. Or, ma plus grande qualité, c'est mon travail.
Et ça, on n'en parle jamais. J'ai compris que je devais vivre avec mon image. Je ne regrette pas grand-chose d'ailleurs, même si j'aurais dû mettre un peu d'eau dans mon vin. Je suis devenu plus réaliste, je sais que l'on ne vit pas dans un monde idéal. Un entraîneur se construit au fil de ses expériences. Je ne suis plus du tout le même qu'il y a vingt ans. Mais, dans le travail, je ne fais pas de concessions.
-Du coup, vous voilà à la tête de l'Algérie. Après avoir été évincé de la Côte d'Ivoire sur un simple fax, et après une seule défaite, on vous croyait vacciné contre les sélections africaines…
- Je me suis laissé convaincre par le président de la Fédération (NDLR:Mohamed Raouraoua). Il a été très tenace. Il m'a appelé pendant un an et demi. Le soir où j'ai quitté le Dinamo Zagreb, il m'a relancé. Il voulait qu'on se retrouve aussitôt à Paris. Je n'ai pas eu le courage de lui dire non. Et quand je m'engage, je le fais à fond.
-Votre niveau d'exigence est donc resté le même ?
- Un entraîneur doit être exemplaire sur beaucoup de points. Il ne doit pas avoir de faiblesses. Ou alors, s'il en a, il ne doit pas les montrer. Il faut être très costaud pour gérer des joueurs qui gagnent des sommes colossales, qui sont adulés, portés aux nues par leur entourage… L'entraîneur est celui qui doit dire la vérité aux joueurs.
Il ne faut pas hésiter à ramener sur terre quelqu'un qui risque de déstabiliser un groupe. Je n'aime pas les conflits. Mais si le conflit est nécessaire pour régler un problème, ça ne me dérange pas.
- C'est plus dur de gérer une équipe aujourd'hui ?
- Oui. Les joueurs gagnent beaucoup d'argent et, dès lors, les tentations se multiplient. Or, les tentations éloignent les joueurs de leur métier. J'en ai vu qui changeaient complètement. Tout d'un coup, ils devenaient intelligents, philosophes… Un entraîneur doit surveiller constamment les pulsations de son équipe et ne jamais se relâcher. Certains joueurs ne le supportent pas. Mais il faut savoir ce que l'on veut. Si on veut gagner des titres, ça passe par une exigence permanente. Il faut toujours rechercher la perfection. J'ai expliqué aux joueurs que s'ils arrivaient en retard à l'entraînement, ils arriveraient en retard dans le match. Une seconde de retard, et tu prends un but. Une seconde d'avance, et tu marques un but.
-Vous dites toujours la vérité aux joueurs ?
- Il le faut. Même les vérités les plus dures à entendre. Cela m'a valu des discussions houleuses avec certains. Mon intention n'est jamais de blesser le joueur, mais de le pousser à réagir, à s'améliorer.
- Qu'est-ce que vous appréciez particulièrement chez un joueur ?
- La continuité dans la performance. Cela vaut pour les joueurs comme pour les entraîneurs. Pour cela, il faut beaucoup de caractère. Quand je jouais, je voulais marquer à chaque match. Et si je ne marquais pas, j'étais très nerveux. Si tu n'as pas ce caractère, tu ne peux pas avoir des résultats dans la durée. Je connais des entraîneurs qui ont fait une belle saison, mais ce ne sont pas des bons entraîneurs pour autant. Faire un coup, c'est à la portée de tout le monde.
Moi, je juge sur la durée. C'est ça qui est remarquable chez Messi. Il vient d'aligner cinq ou six saisons absolument extraordinaires et il a toujours faim. La soif de victoires, de titres, est déterminante chez un sportif de haut niveau.
Michael Jordan était comme cela: Sébastien Loeb aussi.
- Un entraîneur peut-il transmettre ce caractère ?
- Oui, bien sûr! L'esprit de compétition se cultive chaque jour à l'entraînement. Même dans un tennis-ballon, même dans un sprint. C'est le grand rôle de l'entraîneur aujourd'hui. Lorsqu'une équipe est sur une série positive, il faut tout faire pour la poursuivre. Chaque match doit être préparé comme une bataille psychologique. Il faut re-mo-tiver, re-mo-ti-ver sans cesse. Avec la Côte d'Ivoire, on a perdu un match en près de deux ans; avec le Dinamo Zagreb, trois défaites en un an; avec l'Algérie, une défaite seulement. Autrement dit, lors des quatre dernières années, j'ai perdu cinq matches sur la centaine que j'ai dirigés. Avec près de 80% de victoires.
- Les joueurs parlent toujours de plaisir, moins de la culture de la gagne…
- Il faut se méfier de la notion de plaisir. Je ne vois pas comment on peut en prendre si on ne gagne pas. Moi, je m'amuse quand on gagne. Cela peut arriver de perdre, mais la défaite doit faire mal aux joueurs et à l'entraîneur. Si les joueurs réagissent de la même façon aux victoires et aux défaites, il faut quitter tout de suite cette équipe.
- N'est-ce pas plus dur d'entretenir cet esprit en sélection ?
- Si. Quand les joueurs arrivent, ils apportent avec eux leurs problèmes en club. Le premier jour, tu ne peux pas travailler. Tu dis bonjour, tu les laisses parler entre eux, raconter leurs histoires…Ensuite, il faut les transformer dans leur approche footballistique. «Ah, tu joues comme ça dans ton club, d'accord, mais en sélection tu vas plutôt jouer comme ça.»
À chaque rassemblement, j'ai un entretien individuel avec chaque joueur. Ensuite, il y a les entretiens ligne par ligne: le gardien et les défenseurs, les milieux, les attaquants. Et, enfin, les causeries collectives. Mais il ne faut pas faire trop long. Au bout de vingt ou trente minutes, les joueurs ont la tête ailleurs.
- Vous ne passez pourtant pas pour quelqu'un qui communique beaucoup...
- Alors que je parle du matin au soir…Je cherche à créer une bonne ambiance de travail. C'est indispensable. Avant un match, tu as trois ou quatre entraînements et ça ne suffit pas à faire passer le message. En sélection, tu dois faire en une semaine ce que tu fais en club en un mois. Aujourd'hui, les jeunes parlent moins entre eux. Les technologies modernes, portables, consoles, tablettes, ont tendance à les isoler. L'esprit collectif en souffre.
- Vous êtes plutôt dans le dialogue ou dans le monologue ?
- Les deux. Je dis à chaque joueur individuellement ce que j'attends de lui: défensivement, offensivement, en fonction de son adversaire direct… Avec vidéo à l'appui, parfois. Le cadre est structuré. Mais, à l'intérieur du cadre, on peut improviser. Sur les coups de pied arrêtés, chacun sait ce qu'il doit faire. Je visionne aussi une dizaine de matches de l'adversaire. C'est un travail invisible qui peut rapporter gros. Certains doivent penser que c'est trop. Mais ce sont les résultats qui comptent. Et les discours passent toujours mieux avec les résultats.
- À quoi voit-on qu'il y a une bonne ambiance de travail dans une équipe ?
- Il faut regarder le banc de touche. Les réactions du banc sur un but marqué ou un but encaissé disent tout.
- Vous donnez des explications aux remplaçants ?
- Je n'ai jamais vu un entraîneur capable d'expliquer à un joueur qu'il ne méritait pas de jouer. Ça n'existe pas. Mais, quand tu annonces que les meilleurs joueront, il faut s'y tenir. Quitte à sortir ta vedette si elle n'est pas à la hauteur.
- Vous dirigez les entraînements ?
-Bien sûr. Je ne comprends pas comment un entraîneur peut travailler la tactique en restant les bras croisés au bord du terrain. Le travail tactique, c'est l'entraîneur qui doit le faire et personne d'autre.
- Les adjoints sont aussi là pour ça, non ?
- Mais l'adjoint a-t-il exactement la même vision que l'entraîneur principal sur les détails qui font la différence au haut niveau? Jamais un adjoint n'a préparé une séance tactique à ma place.
Et le lendemain d'un match, c'est moi qui fais travailler les remplaçants. J'adore voir leur 22 réaction. Un entraîneur doit être constamment en alerte. Pour construire un groupe, il faut des mois, mais pour le détruire, il suffit d'une semaine.
- Qu'est-ce qui peut détruire un groupe ?
- Par exemple, j'ai vu que Messi et Villa avaient eu un accrochage récemment. Là, il faut intervenir tout de suite, ne pas laisser les joueurs s'arranger entre eux. Sinon, l'entourage va se mettre à parler, l'affaire sera sur la place publique et cela peut faire beaucoup de dégâts. Quand il y a un petit feu, il faut l'éteindre immédiatement.
Une sortie médiatique peut aussi avoir des effets négatifs. J'ai été surpris de voir Mourinho déclarer qu'il retournera un jour en Angleterre alors que le Real Madrid traversait une mauvaise passe. C'est un jeu dangereux. Le moment était peut-être mal choisi.
- Vous aimez vos joueurs ?
- J'ai besoin d'avoir un sentiment humain, qu'il y ait un échange, du respect. Je ne peux pas entraîner un joueur que je déteste. Ça m'est arrivé une ou deux fois et je ne m'étais pas trompé dans mon jugement. Dans ce cas, il faut se séparer. Les relations humaines, c'est 50%du succès.
- En quoi avez-vous changé les habitudes en sélection algérienne ?
- Lors de mon premier rassemblement, les joueurs m'ont dit : "De toute façon, on sait qui va jouer!"
Certains pensaient que le maillot leur appartenait. J'ai changé cette mentalité. L'équipe nationale appartient à tout le monde, ce n'est pas une propriété privée. Il a fallu plusieurs stages pour faire passer ce message. En Afrique, le sentiment national est très fort. Pour un joueur, être remplaçant, c'est un peu la honte. Alors, il faut expliquer. J'ai éliminé ceux qui ne voulaient pas jouer le jeu. Après la qualification pour la Coupe du monde en Afrique du Sud, ils étaient des héros nationaux, ils ont touché le ciel. Mais ils sont vite retombés sur terre. Aujourd'hui, la vedette de l'Algérie, c'est l'équipe.
- L'Algérie souffrait notamment de grosses carences offensives…
- Quand je suis arrivé, on m'a dit: "Il faut qu'on marque plus de buts." En dix matches, ils avaient marqué quatre buts. Depuis que je suis là, on en a marqué dix-neuf en neuf matches. Mais ce n'est pas le fruit du hasard. Les Algériens aiment bien caresser le ballon. Or, il fallait accélérer la vitesse de transmission vers l'avant. À partir de à, tous les entraînements se font à une ou deux touches de balle maximum.
- En mai, vous avez convoqué deux joueurs (Guedioura, Nottingham Forest et Bouzza, Millwall) pour un «stage» à Paris. Ce qui a fait jaser à Alger…
- Oui, on m'a pris pour un fou. Ils avaient arrêté la compétition fin avril, on jouait en juin. Ils ne pouvaient pas rester un mois à ne rien faire.
Je leur ai donné dix jours de vacances, puis ils sont venus à Paris pour bosser avec moi pendant une semaine. Il n'y a pas eu de problème, ils ont compris. Dans le haut niveau, on ne peut rien négliger.
- La pression est-elle plus forte en Afrique qu'en Europe ?
- Oui. Enfin, quand j'étais en Turquie, à Trabzonspor, elle était très forte aussi! Mais j'aime ça. La pire chose dans le foot, c'est l'indifférence.
Je préfère provoquer des réactions, bonnes ou mauvaises. Si les gens sont indifférents à ton égard, c'est qu'ils te prennent pour un con.
En Afrique, la responsabilité du sélectionneur est énorme. À chaque fois, l'honneur du pays est en jeu. Avant mon arrivée, l'Algérie avait perdu 4-0 contre le Maroc. La défaite avait été vécue comme une humiliation nationale.
Cette chaleur, cette passion, il faut s'en servir.
Le football, c'est l'intensité, c'est la vie! C'est tout sauf l'indifférence!
- Quels objectifs vous a-t-on fixés ?
- Je dois être finaliste de la CAN et demi-finaliste de la Coupe du monde.
- Rien que ça ?
- C'est écrit dans mon contrat. Lors des discussions, les dirigeants manifestaient beaucoup d'ambition. J'ai dit: "O.K., vous voulez ça? Alors, écrivez-le noir sur blanc."
- Et si vous n'allez pas en finale de la CAN en février prochain ? 
- On se séparera.
- C'est quoi la durée de vie d'un entraîneur dans le même endroit ?
- Trois ou quatre ans! Après, il faut couper, s'aérer. Quand on reste longtemps, il faut sans cesse inventer, surprendre les joueurs, afin de ne pas tomber dans la routine. Si les joueurs savent ce que tu vas faire, c'est très mauvais. Moi, je suis à 101%tout le temps. Pas question d'improviser une séance d'entraînement.
- Qu'est-ce qui vous fait encore courir à soixante ans ?
- Le foot, c'est ma vie, ma passion. Je ne peux pas faire les choses à moitié par rapport aux gens qui me font confiance. C'est pour cela que j'ai mal vécu certaines trahisons. J'ai encore l'énergie pour au moins cinq ou six ans."                                      R. L.